La période qui va de 1720 à 1750 est une période indécise. Le passé avec toutes ses formes et valeurs est présent, mais les raisonnements et convictions s'épuisent. Par l'effort même de s'assurer de leur pertinence, ils basculent vers d'autres horizons et cohérences. C'est cet entre-deux qui définit l'intérêt de la Lebens-Beschreibung d'Adam Bernd. Bernd recule devant la rupture avec l'univers religieux dans lequel il entend insérer l'exemplum de sa vie. Or, foncièrement frondeur et animé par une fureur étouffée, sans cesse renaissante, il fait de ses obsessions, phobies, maladies et besoins infantiles, les critères constitutifs de l'étrange théodicée personnalisée qu'il propose et où le sujet solitaire de l'autobiographie assume tous les rôles. Son projet d'auto-rédemption éclaire le travail et les contractions du processus de formation d'un sujet autobiographique et d'un individu autonome. Tandis que l'histoire de ce solitaire efficace qu'est Robinson affirme cette possibilité d'autonomie du démiurge humain, fonde la croyance moderne par excellence, l'autobiographie de Bernd, les Mémoires de Duval font sentir que cette identité personnelle tient en même temps de la crispation réactionnelle, de l'isolement volontaire, du pari, de la paranoïa et du manque.