Un grand nombre de romans d'Ismaïl Kadaré présente un phénomène curieux et insolite qui ne manque pas d'interpeller le lecteur: des ruptures textuelles et énonciatives de la narration mettent sous ses yeux des "fragments de chronique", des passages en italiques, des "propos d'inconnus" pour ne citer que quelques-unes de ces formes singulières que l'on rencontre chez Kadaré, surtout à ses débuts d'écrivain. Ce travail propose une approche sémiotique des différents cas de fragmentation discursive rencontrés et des effets de sens qu'ils produisent sur le lecteur. A travers l'étude de ces récits dialogiques et polyphoniques que sont "Le Général de l'armée morte", "Le Monstre", "Les tambours de la pluie", "Chronique de la ville de pierre" et "Vie, jeu et mort de Lul Mazrek", l'auteure rend compte de la manière dont le lecteur construit la signification de ces récits, en apparence éclatés. Par ailleurs, cette étude permet de décrire la subversion dont fait preuve Kadaré par rapport aux "normes" de la doctrine du réalisme socialiste.