"La modernité menait la vie dure à la tradition. Elle se confiait aux anciens impuissants d'inverser la marche du temps. Voulant en finir avec une vie de marionnettes, les sages, à l'unanimité, regagnaient l'assemblée souterraine au lieu d'engager une bataille perdue d'avance. On m'avait dit en famille et à l'école que l'enfance durait toute la vie. On m'avait prévenu que l'enfance, plus qu'un pan de la vie, une éternelle réjouissance, rebondissait joyeuse, suffocante, envahissante. On m'avait, à toutes les occasions, en toute intimité, énuméré les affres de la vieillesse. On m'avait, lors des conseils de famille, dans un long sanglot, au bout du jour, répété tout bas, la beauté de l'enfance, la puanteur de la vieillesse. On m'avait dit de ne pas m'inquiéter si les parents partaient. À chaque fête, Aminata se redressait devant le miroir, puis méditait sur son âge, ensuite comptait, recomptait les années écoulées. Hésitante, inquiète, elle reprenait encore avant d'insulter le temps. Celui-ci était responsable de la puberté. Plus qu'une roue, à mes yeux, il ressemblait au voleur des rêves longuement nourris, plus qu'une notion géographique, rassemblant morts et vivants."