Dans la consultation qu'il me donna, le Dr Ransom me conseilla de ne jamais vivre seul à l'avenir. Il pensait, probablement avec raison, que ma vie solitaire avait été la cause de ces désordres physiques qui m'avaient déjà tant coûté et devaient me coûter plus encore. Il voulait impliquer par là, sans doute, qu'en l'absence de distraction, mon cerveau avait été actif pendant un temps qui était normalement celui du repos, et il reconnut qu'outre ce mal positif, il y avait encore le mal négatif que produit le manque de société et des distractions. Je me rendis volontiers à ces conseils, et arrivant en ville à la fin de décembre 1855, je cherchai à trouver une famille chez qui je pourrais résider. Je trouvai assez bien ce que je désirais au n ¿ 7, Marlborough Gardens, Saint-John's Wood, alors occupé par un avoué, qui s'était ruiné, par sa négligence, et dont la femme essayait d'augmenter leurs ressources en prenant un pensionnaire. Généralement dans ce cas, la présence d'enfants est considérée comme une objection; mais il n'en fut pas ainsi pour moi. Comme j'avais atteint un âge où, dans l'ordre normal des choses, j'eusse pu avoir une famille à moi, il y avait en moi, je pense, un désir naturel d'être entouré d'enfants, surtout de filles. Peut-être une véritable paternité eût-elle changé mes sentiments sur ce sujet; sans cela, je crois que j'aurais donné plus d'affection à mes filles. Il y avait là deux fillettes de cinq et sept ans sur lesquelles je pus laisser s'exercer mon instinct paternel. Avec le reste du cercle, elles fournissaient la gaîté que je recherchais, mieux que n'eût pu le faire un assemblage d'adultes. Je puis remarquer en passant qu'il me faut peu de temps pour être en bons termes avec les enfants; cela tient à ce que, dans la façon dont je les traite, je respecte leur individualité. Très souvent, on se met à les caresser sans savoir si cela leur plaît. Les enfants se révoltent souvent intérieurement, sinon extérieurement, contre ce manquement à leur dignité, et quand on leur donne entière liberté, et qu'on les laisse faire les premières avances, ils montrent souvent une préférence pour ceux qui les traitent ainsi. Cet état de choses me permit de me livrer à des observations et des expériences qui me furent utiles, plus tard, quand je m'occupai de l'éducation. On a souvent été surpris de ce que étant un célibataire, je me sois intéressé à des questions concernant les enfants, et que j'aie pu dire là- dessus des choses exactes. Mais, comme la plupart des célibataires, j'ai eu l'occasion d'observer les enfants, de voir la façon dont on se conduisait envers eux, et les effets produits. La remarque déjà faite que les spectateurs sont souvent ceux qui voient le mieux le jeu peut s'appliquer à la vie domestique comme à beaucoup d'autres choses. Quoiqu'il soit vrai que les membres du cercle de famille doivent avoir une expérience inconnue de celui-ci qui n'en fait pas partie, encore est-il vrai que les idées de celui-ci ont leur valeur, et sont même presque indispensables, Affranchi des émotions de la paternité, ce qui, dans bien des cas, l'empêche de juger, il est, dans d'autres cas, plus apte à juger impartialement.
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