En Lorraine de langue allemande, tout près de la frontière, une grande ferme est posée au bord de la forêt. Sa façade principale regarde la France. Comme elle est bâtie sur une colline, on voit de là, et bien loin, les campagnes pour lesquelles les hommes se sont tant battus ; et si l'on fait, en arrière, du côté de l'orient, trois cents mètres seulement, vergers, grands arbres, champs de fougères et quelquefois de pommes de terre, on entre dans la forêt du Warndt, qui est de la Sarre. Cela se nomme la Horgne-aux-moutons, cet ensemble de bâtiments où la même famille, depuis quatre générations au moins, le reste, qui le sait ? cultive le sol profond dans la plaine, fauche les prés de la pente, et cueille les fruits épars que des futaies protègent contre les vents glacés de l'est. La Horgne ? Le nom lui fut donné aux temps où la Lorraine, peuplée de Celtes et gouvernée par Rome, parlait la langue latine : horreum, la grange. Et il y en a, des Horgnes autour d'elle ! Rien que dans le pays messin, on le rencontre au moins sept fois, ce nom : près de Peltre, près de Nouilly, près de Chesny, près de Pontoy, près d'Amélécourt et ailleurs. Mais la ferme la plus proche, l'invisible voisine, séparée par un plateau, une vallée, et un plateau encore, se nomme La Brûlée, et lui ressemble un peu de visage. Elle a remplacé la ferme anonyme, à jamais privée d'état civil, qui fut brûlée en 1635, quand les Suédois et de nombreux irréguliers ravageaient la Lorraine. La Horgne-aux-moutons, solide sur un promontoire, surveille tout un pays. La route de Carling à Sarrelouis, longeuse de frontière, passe derrière elle et un peu au-dessus ; les lignes forestières qui partent de là conduisent en Allemagne.
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