Nos amis d'Alger nous disaient : Aller en Kabylie et au Désert ! y pensez-vous ? Le Sud est en fermentation. Les marabouts fanatiques annoncent partout l'arrivée du Moule-Saâ [Le maître de l'heure.], qui, venant de l'Ouest, du Maroc, du Gharb, du Mogreb-el-Aksa, doit, avec son yatagan, couper la tête à tous les Roumis [Chrétiens.]. Réfléchissez que nous sortons du Rhamadhan [Le feu qui purifie.], et qu'à ce jeûne rigoureux du neuvième mois s'ajoutent les excitations du printemps pour agiter les ferments de haine et de révolte que tout Arabe ou tout Kabyle puise dans le lait de sa mère. Restez donc parmi nous, à Alger la bien gardée, qui, en avril, n'est que parfum et lumière. Où trouverez-vous un ciel plus pur, un air plus doux ? N'allez pas vous jeter dans un coupe-gorge. Mais à ces exhortations de l'amitié prudente, le Général ne répondait que par un dédaigneux sourire. Comment, faible femme, supporteriez-vous les fatigues d'un pareil voyage ? Ignorez-vous que jamais un phaéton, ni même le plus méchant des voiturins, n'a pu gravir les pentes kabyles ? Quelques chevaux ont tenté l'escalade, mais presque tous s'y sont cassé les reins. La route est bonne jusqu'à Tizi-Ouzou, et les cochers d'Alger vous y mèneront. De Tizi-Ouzou au fort National, il y a un chemin très-pittoresque, dit-on, que l'armée du maréchal Randon tailla, en 1857, dans les flancs de la montagne ; mais vous ne pourrez vous y aventurer qu'avec huit ou dix mulets du train. Vous courrez le risque de vous noyer dans le Sébaou, grossi par les torrents d'hiver et qu'il faut passer à gué. Après cela, rien que des escarpements abruptes, des précipices effroyables, où les plus fortes têtes gagnent le vertige, et que les mulets eux-mêmes hésitent à franchir quand il pleut, car il suffit d'une glissade pour s'aller briser en morceaux au fond d'un abîme de mille mètres.
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