La première partie de l'oeuvre de Peter Handke privilégie le visuel sur le discursif, la statique de l'image sur la dynamique du récit; l'écriture, ayant perdu la confiance dans son pouvoir de représentation, a le laconisme des arts plastiques contemporains: s'inspirant des méthodes de l'avant-garde d'une part et du Nouveau Roman d'autre part, elle se contente de rendre un réel fragmenté en images qui ne se rattachent plus à aucun sujet. Lorsque celui-ci réapparaît progressivement dans les romans de la seconde période, il n'est encore que le sujet d'une perception hébétée et malheureuse; l'écriture emprunte alors au cinéma ses effets de surface et d'extériorité, le montage bref de scènes successives. A partir de la tétralogie du Lent Retour , et par l'intuition d'une spatialité différente, non plus frontale et morcelée, mais totale et englobante, s'amorce le passage de la perception à la vision. La découverte de Cézanne et le modèle de l'image picturale sont ici déterminants. L'enseignement de la peinture de Cézanne, qui parvient à rendre visible l'unité de l'espace extérieur et de la dimension intime et imaginaire, rend possible une recherche de l'écriture qui, sans rien perdre de sa précision, veut dépasser le perçu pour atteindre le sensible. Ainsi l'image a-t-elle conduit Peter Handke d'une pratique plastique à une esthétique de la reproduction et, enfin, à une nouvelle éthique de l'écriture.