... L'esprit de Leibniz ne comportait en effet ni la précision géométrique, ni la persévérance rigide de celui de Descartes. Toutes les idées de Descartes sont méthodiquement déduites, tous ses systèmes sont sévèrement ordonnés ; il a le respect de la ligne exacte et du dessin pur. Leibniz a les allures d'un coloriste ; il procède sans règle, sans discipline, sans suite, presque par saillies, énonçant ses idées çà et là au gré de sa fantaisie, au fur et à mesure que la méditation et l'élan intuitif les lui suggèrent. Constamment diverti d'une pensée à l'autre, il se répand sur les sujets variés qui l'attirent, au lieu de disposer ses conceptions dans un régulier ensemble. La philosophie paraît être pour lui l'opposé des fastidieuses recherches d'érudition auxquelles il donne une attention soutenue, et des polémiques où il déploie une activité prodigieuse. Il aime l'action et le commerce de la société. Il veut être homme d'état. S'il se livre à la métaphysique, il traite avec aisance, mais en quelque sorte à la dérobée, les questions les plus complexes et les résout dans de profondes sentences. Aussi bien ce n'est pas la grande affaire de sa vie, c'en est le noble divertissement. Au fond, Descartes et lui ne sont pas moins opposés. Ils ne s'entendent ni sur les méthodes, ni sur les conclusions. Ils diffèrent sur les causes premières, sur les causes finales, sur l'homme, sur le monde, sur l'âme, sur Dieu...
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