" Etendus, le cigare aux lèvres, sur un large divan d'atelier, deux amis un poëte et un peintre causaient un soir après dîner. C'était l'heure des effusions, des confidences. La lampe éclairait doucement sous l'abat-jour, limitant son cercle de flamme à l'intimité de la causerie, laissant à peine distinct le luxe capricieux des vastes murailles encombrées de toiles, de panoplies, de tentures, et terminées tout en haut par un vitrage où le bleu sombre du ciel pénétrait librement. Seul, un portrait de femme, légèrement penché en avant comme pour écouter, sortait à moitié de l'ombre, jeune, les yeux intelligents, la bouche grave et bonne, avec un sourire spirituel qui semblait défendre le chevalet du mari contre les sots et les décourageux. Une chaise basse écartée du feu, deux petits souliers bleus traînant sur le tapis indiquaient aussi la présence d'un enfant dans la maison; et, en effet, de la chambre à côté, où la mère et le bébé venaient de disparaître, sortaient par bouffées des rires doux, des gazouillements, le joli train d'un nid qui s'endort. Tout cela répandait dans cet intérieur artistique un vague parfum de bonheur familial que le poëte aspirait avec délices: «Décidément, mon cher, disait-il à son ami, c'est toi qui as eu raison. Il n'y a pas plusieurs façons d'être heureux. Le bonheur est là, rien que là... Il faut que tu me maries.» Le Peintre. Ma foi! non, par exemple... Marie-toi tout seul, si tu y tiens. Moi je ne m'en mêle pas. Le Poëte. Et pourquoi? Le Peintre. Parce que... parce que les artistes ne doivent pas se marier."
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