" J¿ai lu bien des fois, dans Homère , le conte de Protée, aussi ancien que les hommes. Et souvent je me le répétais à moi-même, sur le rivage de la mer sans moissons, ramené sans doute par cette odeur des algues, et par ces rochers qüon dirait couchés dans le sable comme des phoques. Soutenant le conte par les choses mêmes, comme on fait toujours, mais attentif aussi, selon une règle secrète, à ne rien changer de cet étrange récit, comme si tout y était vrai sans aucune faute. J¿imaginais donc le troupeau des phoques, et les héros grecs couchés sous des peaux de phoques et remplis de l¿odeur marine. Mais Protée ne paraissait point. Je me racontais comment ils le saisirent, et comment il fit voir toutes ses ruses, devenant lion, panthère, arbre, feu, eau. Je l¿avais devant les yeux cette eau qui prend toutes couleurs et toutes formes, et n¿en garde aucune, mais qui nous dit aussi toute vérité dès que, par attention vive, nous la percevons comme elle est. Je m¿éveillai de ce conte, tenant une grande idée, mais trop riche aussi de ce monde tout changeant et tourbillonnant à l¿image de l¿eau trop parlante (...)"
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