L’étude marginale d’un nouveau document, un cratère à volutes apulien trouvé à Metapont et conservé dans une collection privée genevoise, permet en dernier lieu d’introduire une lecture eschatologique de la fruite d’Enée. La panse de ce cratère, décoré par la Peintre de l’ilioupersis, est ornée d’un imposant naïskos, sous lequel ont été figurés, selon toute probabilité, Enée et Ascagne. Cette présence insolite du héros troyen, emmenant son fils par la main, confirme l’intérêt que certains défunts éprouvaient à s’identifier aux héros mythologiques comme gage d’immortalité. Le cratère genevois incite à relancer le débat concernant le groupe en fruite du cratère à volutes de Londres F 160, également décoré par le Peintre de l’Ilioupersis. Quelle est donc l’identité du vieillard et de l’enfant qui s’éloignent en toute hâte de l’autel d’Athéna Ilias? Stricto sensu, il ne peut pas s’agir d’Anchise et Ascagne, le grand-père et le petit-fils n’étant jamais représentés en l’absence d’Enée. Toutefois, compte tenu du nouveau document, il est difficile de croire qu’un tel groupe n’ait pas évoqué dans l’esprit des spectateurs antiques le destin des Enéades. En réalité, tout se passe comme si le Peintre de l’Ilioupersis avait joué avec la scène du mythe sans toutefois la représenter explicitement. L’utilisation particulière du groupe des Enéades sur deux vases à naïkos permet-elle d’affirmer qu’inversement, dans la scène du mythe, les mêmes héros incarnaient une valeur funéraire? Dans le contexte romain, Enée assume certainement une telle fonction depuis Virgile, qui fait descendre le héros aux Enfers, y rencontrer son père Anchise, puis remonter parmi les vivant. Bien que l’image d’Enée incarne en premier lieu un idéal de virtus et de pietas, l’iconographie funéraire impériale semble bien avoir exploité la signification de ce voyage dans le monde des morts, depuis l’époque flavienne tout de moins, sur de nombreux reliefs et sarcophages. S’il est établi que l’iconographie romaine, peut-on supposer que cette catabase d’Enée était déjà connue des Tarentins du Ive siècle av. J.-C.? Rappelons que sur les vases apuliens des Enfers, Margot Schmidt avait jadis envisagé, sans la retenir, l’hypothèse que le héros descendu chez Hadès avec son quadrige était Enée. Il apparaît maintenant évident que l’Ilioupersis fut un thème populaire dès le milieu du IVe siècle av. J.-C. dans le contexte funéraire d’Italie méridionale. Symbole d'anéantissement de toute une ville et de ses princes, l’Ilioupersis s’offrait comme une scène de carnage et de mort prestigieuse.