Extrait
4 juillet. – Je suis reçue au brevet supérieur, avec félicitations. En dépit de la lourde chaleur d’orage, j’étais plus légère en sortant de la préfecture, et c’est d’un pas alerte que j’ai gagné la rue Saint-Louis. Nous habitons là une petite maison étroite, décrépite à l’extérieur, mal agencée intérieurement, qui date du règne de Louis XV, et semble n’avoir reçu depuis lors qu’un minimum de réparations indispensables. Bertha, la servante, m’ouvrit la porte jadis brune, devenue d’une indéfinissable nuance. Elle me demanda, sans que d’ailleurs sa voix, empâtée par l’accent germanique, et son large visage placide témoignassent d’aucun intérêt :
– Eh bien ?
Tranquillement, comme elle, je répondis :
– Reçue, Bertha.
Elle murmura un : « Ça va bien ! » Et je montai l’escalier usé, qui craquait sous mes pas, j’entrai dans le salon, grande pièce à boiseries grises, à peine meublée de quelques sièges, d’une table et d’une armoire. Près de la fenêtre ouverte, ma tante tricotait. Elle leva la tête et demanda :
– Avez-vous réussi, Odile ?
– Très bien, ma tante, avec félicitations du jury. Je suis contente, mais j’ai bien chaud !
Je m’assis en face d’elle et enlevai vivement mes gants, mon chapeau. Elle me regardait, en faisant glisser l’une contre l’autre ses longues aiguilles. Ses yeux pâles clignotaient un peu, sous ses paupières ridées. De nouveau, je ressentis cette impression désagréable qui m’a plus d’une fois saisie, quand ce regard se pose sur moi. Très droite par nature, j’ai la sensation d’un mensonge se cachant sous la douceur étudiée de cette physionomie, de cette parole lente, teintée d’accent allemand. Jamais je n’ai aimé Mme Holden. Et j’ai l’intuition qu’elle, non plus, ne m’aime pas. Nous vivons néanmoins en bons termes, mais froidement, sans intimité. Et si parfois l’impression d’antipathie s’augmente chez moi, j’ai toujours réussi à n’en laisser rien paraître. Car enfin, quelle que soit la nature de ma tante, je lui dois de la reconnaissance. Elle m’a recueillie tout petit bébé, à la mort de mes parents, et m’a élevée de ses deniers, bien qu’elle soit peu fortunée. Voilà des choses qui ne se peuvent oublier, quand on a un peu de noblesse dans le cœur. Aussi me suis-je toujours efforcée d’entourer d’attention Mme Holden, surtout depuis deux ou trois ans où je la vois vieillir, devenir rhumatisante. En outre, elle est la seule parente qui me reste, seconde considération propre à m’inciter aux devoirs qui ne me sont pas toujours faciles à son égard, je l’avoue...
4 juillet. – Je suis reçue au brevet supérieur, avec félicitations. En dépit de la lourde chaleur d’orage, j’étais plus légère en sortant de la préfecture, et c’est d’un pas alerte que j’ai gagné la rue Saint-Louis. Nous habitons là une petite maison étroite, décrépite à l’extérieur, mal agencée intérieurement, qui date du règne de Louis XV, et semble n’avoir reçu depuis lors qu’un minimum de réparations indispensables. Bertha, la servante, m’ouvrit la porte jadis brune, devenue d’une indéfinissable nuance. Elle me demanda, sans que d’ailleurs sa voix, empâtée par l’accent germanique, et son large visage placide témoignassent d’aucun intérêt :
– Eh bien ?
Tranquillement, comme elle, je répondis :
– Reçue, Bertha.
Elle murmura un : « Ça va bien ! » Et je montai l’escalier usé, qui craquait sous mes pas, j’entrai dans le salon, grande pièce à boiseries grises, à peine meublée de quelques sièges, d’une table et d’une armoire. Près de la fenêtre ouverte, ma tante tricotait. Elle leva la tête et demanda :
– Avez-vous réussi, Odile ?
– Très bien, ma tante, avec félicitations du jury. Je suis contente, mais j’ai bien chaud !
Je m’assis en face d’elle et enlevai vivement mes gants, mon chapeau. Elle me regardait, en faisant glisser l’une contre l’autre ses longues aiguilles. Ses yeux pâles clignotaient un peu, sous ses paupières ridées. De nouveau, je ressentis cette impression désagréable qui m’a plus d’une fois saisie, quand ce regard se pose sur moi. Très droite par nature, j’ai la sensation d’un mensonge se cachant sous la douceur étudiée de cette physionomie, de cette parole lente, teintée d’accent allemand. Jamais je n’ai aimé Mme Holden. Et j’ai l’intuition qu’elle, non plus, ne m’aime pas. Nous vivons néanmoins en bons termes, mais froidement, sans intimité. Et si parfois l’impression d’antipathie s’augmente chez moi, j’ai toujours réussi à n’en laisser rien paraître. Car enfin, quelle que soit la nature de ma tante, je lui dois de la reconnaissance. Elle m’a recueillie tout petit bébé, à la mort de mes parents, et m’a élevée de ses deniers, bien qu’elle soit peu fortunée. Voilà des choses qui ne se peuvent oublier, quand on a un peu de noblesse dans le cœur. Aussi me suis-je toujours efforcée d’entourer d’attention Mme Holden, surtout depuis deux ou trois ans où je la vois vieillir, devenir rhumatisante. En outre, elle est la seule parente qui me reste, seconde considération propre à m’inciter aux devoirs qui ne me sont pas toujours faciles à son égard, je l’avoue...