Extrait
I
Par une brumeuse et froide matinée de décembre, dans le salon d’une riante bastide de la route de la Seyne, aux portes de Toulon, devant un grand feu, étaient groupés, causant et fumant, sept hommes, dont le plus âgé n’avait pas dépassé la quarantaine. Une table à jeu, sur laquelle les cartes et les jetons attendaient la reprise de la partie, venait d’être abandonnée. Midi sonnait, et le maître de la maison, médecin principal de la marine, laissant pour un instant ses hôtes à eux-mêmes, était allé voir si le déjeuner s’apprêtait. Le soleil se montrait timidement au dehors, et des flocons de neige voltigeaient dans l’air, chassés par un âpre mistral qui couchait les tiges flexibles des tamaris, sifflait dans les mimosas et les oliviers, et tendait douloureusement les nerfs des habitants de la Provence. Un jeune homme, portant l’uniforme de lieutenant de vaisseau, debout devant une fenêtre, tambourinait machinalement sur les vitres, en regardant dans le jardin.
— Eh bien ! Listel, qu’est-ce que vous voyez ? demanda un de ceux qui fumaient, en lançant dans le feu sa cigarette éteinte.
— Rien du tout, cher ami.
— Alors, à quoi pensez-vous ?
— À rien du tout.
— C’est le commencement du bonheur. Moi j’ai faim.
— Vous allez être satisfait. Houchard est allé jeter un coup d’œil sur le fourneau et donner quelques suprêmes conseils à son cordon bleu.
— Il paraît que c’est aujourd’hui qu’on déguste la fameuse bouillabaisse de turbots et de homards.
— Roubion n’a qu’à bien se tenir !
— Vous savez qu’il prétend que la bouillabaisse n’est bonne qu’avec du rouget, du loup et de la rascasse.
— Il ne sait pas ce qu’il dit ! s’écria un gros homme tout rond, qui, en ouvrant la porte, laissa pénétrer une appétissante odeur de cuisine.
— Houchard, tu me rappelles les dieux de la mythologie, qui s’avançaient enveloppés d’un parfum d’ambroisie… Toi tu sens la truffe, ami : c’est d’un bien bon augure !..
I
Par une brumeuse et froide matinée de décembre, dans le salon d’une riante bastide de la route de la Seyne, aux portes de Toulon, devant un grand feu, étaient groupés, causant et fumant, sept hommes, dont le plus âgé n’avait pas dépassé la quarantaine. Une table à jeu, sur laquelle les cartes et les jetons attendaient la reprise de la partie, venait d’être abandonnée. Midi sonnait, et le maître de la maison, médecin principal de la marine, laissant pour un instant ses hôtes à eux-mêmes, était allé voir si le déjeuner s’apprêtait. Le soleil se montrait timidement au dehors, et des flocons de neige voltigeaient dans l’air, chassés par un âpre mistral qui couchait les tiges flexibles des tamaris, sifflait dans les mimosas et les oliviers, et tendait douloureusement les nerfs des habitants de la Provence. Un jeune homme, portant l’uniforme de lieutenant de vaisseau, debout devant une fenêtre, tambourinait machinalement sur les vitres, en regardant dans le jardin.
— Eh bien ! Listel, qu’est-ce que vous voyez ? demanda un de ceux qui fumaient, en lançant dans le feu sa cigarette éteinte.
— Rien du tout, cher ami.
— Alors, à quoi pensez-vous ?
— À rien du tout.
— C’est le commencement du bonheur. Moi j’ai faim.
— Vous allez être satisfait. Houchard est allé jeter un coup d’œil sur le fourneau et donner quelques suprêmes conseils à son cordon bleu.
— Il paraît que c’est aujourd’hui qu’on déguste la fameuse bouillabaisse de turbots et de homards.
— Roubion n’a qu’à bien se tenir !
— Vous savez qu’il prétend que la bouillabaisse n’est bonne qu’avec du rouget, du loup et de la rascasse.
— Il ne sait pas ce qu’il dit ! s’écria un gros homme tout rond, qui, en ouvrant la porte, laissa pénétrer une appétissante odeur de cuisine.
— Houchard, tu me rappelles les dieux de la mythologie, qui s’avançaient enveloppés d’un parfum d’ambroisie… Toi tu sens la truffe, ami : c’est d’un bien bon augure !..