On a l'habitude de lire dans Antigone l'histoire d'un conflit entre d'un côté l'expression des liens affectifs et de la piété, et de l'autre les prérogatives de l'État dont le but premier serait le maintien des institutions. D'un côté Antigone fidèle à son frère, de l'autre Créon attaché à sa Cité. D'un côté la morale de l'affectivité ou de la conviction (Gesinnungsethik), de l'autre la morale de la responsabilité (Verantwortungsethik), pour parler comme Max Weber. Cette lecture classique de la tragédie demeure sans doute pertinente à bien des égards, mais traduit-elle l'essentiel ? Et si l'intention du poète n'avait pas été d'en rester à cette confrontation mais de suggérer, par-delà l'affrontement ruineux, une troisième voie possible ? Il n'y aurait plus alors deux termes seulement, le privé et le public que tout sépare, mais deux manières pour l'ordre public lui-même de se rapporter au privé, l'une conflictuelle et tyrannique, celle de Créon, l'autre conciliatrice et délibérative - démocratique en ce sens -, celle défendue par Hémon, par Tirésias, et finalement peut-être par Sophocle lui-même qui, par l'emploi d'un vocabulaire tiré de l'expérience politique athénienne, dénoue d'une main l'intrigue qu'il noue de l'autre.Éclairée entre autres par Aristote, une interprétation nouvelle de la pièce en découle, celle d'un poète qui surjoue les conflits pour mieux insinuer les moyens politiques de les résoudre ou de les atténuer.
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