Les anges d'Eduardo Conde Quispe me rappellent que la vie apporte toujours sa part de reve, que la nature est encore belle et que la Bolivie s'attache, depuis peu, a rendre democratiquement a son peuple les ressources dont il a ete spolie durant des siecles. Claire LamorletteMythes et ralits de la Bolivie ancestraleLancs sur la route des Indes, les aventuriers qui foulrent nos terres en 1492 nous ont baptiss Indiens avant mme de nous connatre. Vers 1535, des moines, suivis des conquistadors du Haut Prou, anciennement la Bolivie, atteignent le lac Titicaca. Non loin de Tiwanaku, un membre de l'expdition interrogea sans doute en ces termes l'un de nos anctres : Comment s'appelle ton peuple ? Qui es-tu ? Quelle langue parles-tu ? Celui-ci, interprtant ces questions, pensa que l'Espagnol lui demandait : Depuis quand vivez-vous ici ? Il rpondit : Aymara Dans sa langue maternelle, cela signifiait : il y a fort longtempsDurant mon enfance, mes grand-mres, Nieves Huanca et Concepcion Avalos, m'ont fait dcouvrir et vivre au quotidien notre cosmogonie aymara, nos conceptions de la vie et de la mort, travers les contes et lgendes qui nous sont familiers, habits par nos dieux tutlaires tels que les Apus, les Achachilas et les Illas. L-bas, dans les communauts, hommes et femmes cohabitent avec ces entits, auxquelles ils vouent un grand respect, et ils entretiennent avec elles des relations de rciprocit, au travers de libations et de prires qui marquent chaque vnement important. Puis, au cours de nombreux voyages dans mon pays, j'ai pu constater que ce monde ancestral, avec ses dieux, ses symboles et son art, tait en train de disparatre face la pousse de la modernit. C'est ce constat qui a sans doute veill en moi un fort besoin de m'exprimer par le dessin et la peinture afin de rvler un univers qui, avec le temps, me parut encore plus fascinant. Invit par une association culturelle, je suis arriv Paris en 1985. Mes tableaux et dessins ont touch des femmes et des hommes qui ont eu envie de faire connatre en France les cultures natives de mon pays, en particulier le monde aymara dont je suis issu. Les nombreux vnements et activits organiss Paris autour de la Rencontre des deux mondes, en 1992, m'ont donn l'occasion de faire la connaissance de Claire Lamorlette, qui, captive par l'inspiration de mon travail pictural a voulu en savoir plus. Nous avons ensuite dcid d'crire ce livre, illustr par un choix de tableaux, auquel elle a donn le titre A fleur de plumes. Il accompagnera mes expositions tout en ouvrant une fentre lisible sur la cosmogonie aymara. Grce Claire, nous avons pu rencontrer l'diteur, Mohamed Mokeddem qui, spontanment, a dcid de le publier. A fleur de plumes conte et donne voir certains mythes et ralits de mon pays, la Bolivie. Tous mes remerciements Claire Lamorlette, aux ditions Mokeddem et Christian Rudel, pour sa prface. Eduardo Conde QuispeTiwanacu, un village sur le toit du monde, non loin du lac Titicaca et de La Paz Puret des lignes, paysages dnuds de hauts plateaux aux formes douces, force des couleurs ravives par un air pur o l'altitude rapproche la terre aymara des toiles et du ciel, pierres millnaires superbement tailles de temples sacrs baignent l'enfance d'Eduardo Conde Quispe, n dans ce lieu magique le 13 octobre 1953. Trs tt Eduardo s'initie la musique andine traditionnelle, aux instruments vent dont chacun sait jouer dans la rgion. Puis il remplit ses cahiers d'colier de dessins aux tons vifs. Rude est le quotidien : sa mre est seule lever trois enfants. Eduardo, scolaris au village, doit partir travailler La Paz. Il a dix ans. Hberg par un oncle austre et froid, peu attentif ses dons prcoces de dessinateur, le jeune garon est embauch sur un chantier comme peintre bniste. Le soir, il tudie le programme du collge. Lors de ses rares moments de loisir, il trouve le temps de dessiner et de peindre, son frre Hugo lui servant souvent de modle. Les jours, les annes passent ce rythme. Aprs le lyce, Eduardo n'abandonne pas son projet de se former aux arts plastiques ; il intgre l'Universit Majeure de San Andres, La Paz. Paralllement ses tudes, il forme un groupe de musique dans les annes 1970. Il joue du charango et de la guitare. La vie des paysans dans la cordillre et dans les valles chaudes (Yungas), les ftes et crmonies, l'histoire, les lgendes et les mythes constituent ses principales sources d'inspiration picturale. Aprs une exposition au Canada, son chemin artistique le mne en Europe. Eduardo arrive en France en 1985, invit en qualit d'animateur du Centre culturel Chitakolla de La Paz pour faire connatre la culture des Amrindiens, notamment travers sa peinture. Il dcide alors de rester Paris et de poursuivre ses activits artistiques. Il cre l'association culturelle Porte du Soleil et organise des expositions de tissages aymaras, de cramiques Shipibo (peuple de l'Amazonie pruvienne) et de parures de plumes d'Amazonie. Il expose ses ?"e;uvres en Moldavie, en Suisse et dans diffrentes villes de France. En 1996, Eduardo est invit la Rencontre des communauts amrindiennes, qui se tient Paris l'initiative du prsident Jacques Chirac. Ses deux dernires expositions ont lieu en 1999 l'Ecole des Sciences sociales, Paris, et en 2000, Fontaines-Saint-Martin, proximit de Lyon. Paralllement son activit cratrice, Eduardo Conde Quispe se perfectionne en peinture murale, en restauration de fresques et de monuments, activits qui le font voyager et lui permettent de vivre et de peindre. A fleur de plumes est l'occasion de retrouver le fil d'une histoire ne dans un continent, dans un monde o nature et hommes entretenaient un dialogue harmonieux avant le choc de la conqute. Ce dialogue se tisse sur un modle en cration permanente partir de ce qui existe. A partir, aussi, de la peinture d'Eduardo Conde Quispe et de ces quelques lignes. Claire LamorletteA 3800 m d'altitude, un petit village proche du lac Titicaca mergeait lentement, voici quelques millnaires, d'un long anonymat humble et frugal : Tiwanaku - le village ternel selon certains - s'apprtait dominer une vaste rgion, puis btir le premier grand empire des Andes. Peut-tre les paysans des origines avaient-ils plac leur confiance dans la haute montagne, l-bas vers le sud, que nous connaissons sous le nom d'Illimani et dont notre science a parfaitement mesur la hauteur : 6432 m au-dessus du niveau de la mer. C'tait le plus haut d'un troupeau de sommets pareillement enneigs, que la Cordillre royale avait poss en sentinelles et en gardiens de l'Altiplano. De l'Illimani et des autres montagnes descendait, par de nombreuses rivires, l'eau ncessaire aux cultures, aux animaux, aux hommes, la vie. Cette eau tait le don des mystrieux habitants des hautes montagnes, des tres jamais rencontrs, mais dont les manifestations spectaculaires - coups de tonnerre, clairs - ne laissaient aucun doute sur leur existence, et mme les rendait redoutables. Comment rencontrer, comment entrer en relation directe avec ces htes des neiges pour les remercier de leurs bienfaits - ou pour en demander d'autres ? Mais d'abord, o trouver leur rsidence ? Le condor, roi des oiseaux, roi des neiges, roi du ciel, devait bien connatre leur demeure : rien n'chappe son ?"e;il pntrant. Ah, si l'homme pouvait voler et, comme lui, s'lever au-dessus des sentiers, des chaumires et des champs ! Mais l'homme est lourd, pesant. Il a beau s'affubler d'ailes de condor, au cours de certaines ftes, il se rvle incapable de prendre son envol pour se diriger vers le sjour des tres invisibles. Le condor restait le seul trait d'union entre le monde visible des hommes et le monde invisible des matres des montagnes et de l'eau. Le condor comme d'autres oiseaux, transportait parfois un message pour guider l'homme dans sa vie et ses travaux ordinaires ; il suffisait de bien les observer, les couter et d'interprter correctement les signes qu'ils lanaientPorteurs de messages et de secrets, les oiseaux servirent naturellement de lien entre le monde frquent par les esprits des anctres et celui des vivants, le monde ordinaires des humains. C'est ainsi que, de gnration en gnration, le rle des oiseaux intermdiaires et messagers prit de l'ampleur : ils taient de toutes les ftes, du moins travers leur symbole, la plume Des plumes multicolores, car les habitants des Andes changeaient des plumes aux couleurs de l'arc-en-ciel de la fort amazonienne contre d'autres produits ou denres de leur rgion. C'est alors que sont apparus dans les Andes des personnages auxquels il a pouss des ailes, mi-hommes mi-oiseaux, endossant le rle de messagers vloces du monde d'en haut. Si de tels personnages peuvent tre confondus avec les anges de la tradition catholique, interprts et revus par des artistes autochtones, ils sont cependant bien visibles sur des tissages, poteries et sculptures de civilisations andines antrieures l'arrive des conquistadors. Le mtissage rsultant de la conqute fut ais, quasi naturel, en ce qui concerne les anges, d'autant que la reprsentation de l'ange catholique permettait de cacher, et de perptuer, le messager andin ds lors interdit de sjour. N Tiwanaku et nourri au vieux fond culturel des Andes, le peintre Eduardo Conde Quispe ne pouvait que restituer et prolonger, en y ajoutant sa touche et ses recherches personnelles, le chapitre des messagers ails, voqu ici sous la plume de Claire Lamorlette. Christian RudelGrand reporter
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