Certains artistes trouvent que je me suis trop occupé de politique dans mon œuvre et dans mes jours. Mais je me suis occupé de tout et de cela aussi. Beaucoup de cela, parce qu’il y a beaucoup de cela dans la vie des hommes, en tout temps, et qu’à cela se noue tout le reste. Citez-moi dans le passé un grand artiste — nous avons bien le droit de chercher haut nos modèles — qui n’ait pas été empoigné par la politique ? Même quand il était sollicité par la plus intime mystique ? Pour parler en particulier du roman qu’on va lire, Gilles, il me faut revenir sur l’idée de décadence. Elle seule explique la terrible insuffisance qui est le fond de cet ouvrage. Ce roman paraît insuffisant parce qu’il traite de la terrible insuffisance française, et qu’il en traite honnêtement, sans chercher de faux-fuyants ni d’alibis. Pour montrer l’insuffisance, l’artiste doit se réduire à être insuffisant. C’est à quoi ne se sont pas résignés la plupart des écrivains contemporains — et c’est ce qui fait leur avantage. Pourtant, il y a eu Céline. On n’a guère remarqué que presque personne ne s’est risqué à peindre la société de Paris dans sa réalité des vingt dernières années. Pour cause, parce qu’il fallait dénoncer une terrible absence d’humanité, une terrible insuffisance de sang. Cela était désobligeant. Pierre Drieu la Rochelle, Préface de Gilles, Juillet 1942.
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