Parmi les tragédies de Shakspeare que l'opinion a placées au premier rang, Jules César est celle dont les commentateurs ont parlé le plus froidement. Le plus froid de tous, Johnson, se contente de dire: «Plusieurs passages de cette tragédie méritent d'être remarqués, et on y a généralement admiré la querelle et la réconciliation de Brutus et de Cassius; mais jamais en la lisant je ne me suis senti fortement agité, et en la comparant à quelques autres ouvrages de Shakspeare, il me semble qu'on la peut trouver assez froide et peu propre à émouvoir.» C'est adopter un principe de critique entièrement faux que de juger Shakspeare d'après lui-même, et de comparer les impressions qu'il a pu produire, dans un genre et dans un sujet donnés, avec celles qu'il produira dans un autre sujet et un autre genre, comme s'il ne possédait qu'un mérite spécial et singulier qu'il fût tenu de déployer dans chaque occasion, et qui restât le titre unique de sa gloire. Ce génie vaste et vrai veut être mesuré sur une échelle plus large; c'est à la nature, c'est au monde qu'il faut comparer Shakspeare: et, dans chaque cas particulier, c'est entre la portion du monde et de la nature qu'il a dessein de représenter et le tableau qu'il en fait, que se doit établir la comparaison. Ne demandez pas au peintre de Brutus les mêmes impressions, les mêmes effets qu'à celui du roi Lear ou de Roméo et Juliette; Shakspeare pénètre au fond de tous les sujets, et sait tirer de chacun les impressions qui en découlent naturellement, et les effets distincts et originaux qu'il doit produire.