Quelques instants avant le dîner, Suzel était recoiffée, chaussée de jolis souliers d’intérieur, et Klaus s’évertuait à enlever une petite tache qu’il venait de découvrir sur la robe noire de la petite fille, Madame Alstreim, la grand-mère de Suzel, l’appelait parfois « ma seconde bonne d’enfants » ; et, de fait, Klaus avait bien souvent mérité ce surnom. Orphelin dès l’enfance, recueilli par Monsieur Alstreim, le riche marchand de verrerie, il n’avait jamais quitté la maison de ses bienfaiteurs et s’était attaché à eux de toute l’ardeur de son cœur dévoué. Alors qu’il était un blond et robuste garçon de vingt ans, il avait bercé maintes fois le petit Maurice Alstreim ; sa main attentive avait guidé les premiers pas de l’enfant, son œil vigilant avait veillé sur le jeune garçon vif et batailleur... Et, plus tard, Klaus avait servi avec un affectueux respect le jeune homme, patriote ardent et cœur délicat, qui était devenu l’époux de Claire-Marie Monil. C’était, lui aussi, le fidèle Klaus, qui avait consolé le veuf découragé... lui encore qui lui avait fermé les yeux quelques années plus tard, à la place de la pauvre mère anéantie devant son fils étendu sans vie. De concert avec un vieux et dévoué commis, il avait dirigé la maison de commerce jusqu’au jour, peu éloigné de l’autre, où la grand-mère était partie aussi, laissant Suzel seule sans autres parents que les Monil. Mais un ardent dévouement demeurait auprès d’elle : Klaus avait aussi bercé, consolé, amusé cette frêle petite fille ; il ressentait pour elle une tendresse paternelle qui adoucit un peu le désespoir de Suzel en présence de la mort de son aïeule chérie. Muni des pleins pouvoirs envoyés par le docteur Monil, tuteur de l’enfant, Klaus vendit la maison de commerce, réalisant ainsi la plus grosse partie de la fortune de Suzel, qui se trouvait fort riche... Toutes ces affaires demandèrent plusieurs mois, au grand contentement de l’enfant, qui voyait avec une secrète terreur approcher le moment où il lui faudrait partir pour Cerval, cette petite ville de la Loire-Inférieure qui était le lieu de résidence des Monil et le berceau de la famille maternelle de Suzel.