Les Rüden étaient d’origine autrichienne. Peu après le mariage de Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, avec Maximilien d’Autriche, un écuyer de ce prince, Maximilien de Rüden, avait épousé la fille unique de Thierry Farel, seigneur de Montparoux. Un de ses fils cadets, Henri, reçut en héritage ce domaine et fit souche d’une branche qui devait se perpétuer dans le comté. Ses autres fils fondèrent des familles en Autriche. De ceux-là, il ne subsistait plus aujourd’hui que le comte Willibad Rüden-Gortz. Son père avait été tué au front d’Orient en 1918 ; sa mère, à demi ruinée, était revenue en France, son pays, et, avec les débris de sa fortune, avait entrepris d’exploiter les terres du domaine appauvri que lui léguait son père. Le baron de Groussel, son second mari, l’y avait peu aidée. Aimable, égoïste, fort séduisant, il s’entendait surtout à dépenser sa propre fortune, peu considérable, si bien qu’à sa mort, survenue deux ans auparavant, Mme de Groussel n’avait hérité que des dettes à payer. Mais maintenant Willibad, sorti de l’Institut agronomique, avait pris en main la direction du domaine qui constituait à peu près leur seule source de revenus. Les Rüden de Montparoux passaient par des vicissitudes identiques, depuis quelques années. Stephen, le grand-père d’Élisabeth, après avoir mené grande vie, léguait à son fils Rodolphe une fortune amoindrie. Celui-ci n’était pas fait pour endiguer la ruine menaçante. Il ne pouvait même que la précipiter. En outre, désintéressé comme tous ceux de sa race, il épousait par amour une jeune Anglaise sans fortune, Daphné Meldwin. Cinq ans plus tard, un matin d’été, on la trouvait noyée dans l’Étang-aux-Biches. Après quelques semaines d’un désespoir si violent qu’il faisait craindre pour sa raison, Rodolphe quittait Montparoux et, peu après, il informait sa mère de ses fiançailles avec la vicomtesse de Combrond.