Extrait
I
Il venait de s’arrêter devant le magasin d’un tapissier décorateur. Derrière l’immense vitre, sous la clarté intense et douce répandue par les ampoules électriques, des meubles étaient disposés avec art, de jolis meubles d’une élégance raffinée, chiffonniers de bois précieux aux incrustations légères, charmants petits bureaux bien faits pour les correspondances frivoles, fauteuils Louis XVI d’une grâce exquise, recouverts d’admirables soieries... Et d’autres soieries encore, d’un rose délicieusement passé, d’un vert très pâle, d’un blanc d’ivoire, des soieries brochées, d’autres rayées et semées de fleurettes, formaient un chatoyant et luxueux décor à cette exposition d’un des plus « selects » magasins des boulevards.
La lumière qui mettait en valeur toutes ces élégances éclairait aussi des pieds à la tête le curieux arrêté à la devanture. C’était un jeune homme, vêtu en ouvrier aisé. Grand et fort, il avait un visage accentué, une barbe brune épaisse et légèrement frisée. Ses paupières étaient en ce moment un peu abaissées, ne laissant qu’à demi apercevoir le regard... Mais quelle expression d’envie, d’amertume haineuse se lisait sur cette physionomie !
Un jeune couple, descendant d’un élégant coupé, entra dans le magasin ; les paupières de l’homme se soulevèrent, laissant voir des yeux clairs qui donnaient à ce visage une vive expression d’intelligence. Ils suivirent, à l’intérieur, les arrivants : lui, un bel homme à l’air sérieux et très aristocratique ; elle, une toute jeune femme brune, fort jolie, habillée avec une élégance sobre. On s’empressait autour d’eux, ils étaient évidemment des clients de marque... Et l’œil clair de l’ouvrier s’imprégnait de haine et d’envie, sa bouche aux lèvres épaisses se crispait nerveusement...
– Malheur !... quand est-ce qu’on les démolira tous, ces riches ! siffla-t-il entre ses dents serrées.
Il eut tout à coup un petit sursaut en sentant une main se poser sur son épaule.
– Tiens, je ne me trompe pas, c’est toi, Prosper ! disait en même temps une voix sonore...
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Il venait de s’arrêter devant le magasin d’un tapissier décorateur. Derrière l’immense vitre, sous la clarté intense et douce répandue par les ampoules électriques, des meubles étaient disposés avec art, de jolis meubles d’une élégance raffinée, chiffonniers de bois précieux aux incrustations légères, charmants petits bureaux bien faits pour les correspondances frivoles, fauteuils Louis XVI d’une grâce exquise, recouverts d’admirables soieries... Et d’autres soieries encore, d’un rose délicieusement passé, d’un vert très pâle, d’un blanc d’ivoire, des soieries brochées, d’autres rayées et semées de fleurettes, formaient un chatoyant et luxueux décor à cette exposition d’un des plus « selects » magasins des boulevards.
La lumière qui mettait en valeur toutes ces élégances éclairait aussi des pieds à la tête le curieux arrêté à la devanture. C’était un jeune homme, vêtu en ouvrier aisé. Grand et fort, il avait un visage accentué, une barbe brune épaisse et légèrement frisée. Ses paupières étaient en ce moment un peu abaissées, ne laissant qu’à demi apercevoir le regard... Mais quelle expression d’envie, d’amertume haineuse se lisait sur cette physionomie !
Un jeune couple, descendant d’un élégant coupé, entra dans le magasin ; les paupières de l’homme se soulevèrent, laissant voir des yeux clairs qui donnaient à ce visage une vive expression d’intelligence. Ils suivirent, à l’intérieur, les arrivants : lui, un bel homme à l’air sérieux et très aristocratique ; elle, une toute jeune femme brune, fort jolie, habillée avec une élégance sobre. On s’empressait autour d’eux, ils étaient évidemment des clients de marque... Et l’œil clair de l’ouvrier s’imprégnait de haine et d’envie, sa bouche aux lèvres épaisses se crispait nerveusement...
– Malheur !... quand est-ce qu’on les démolira tous, ces riches ! siffla-t-il entre ses dents serrées.
Il eut tout à coup un petit sursaut en sentant une main se poser sur son épaule.
– Tiens, je ne me trompe pas, c’est toi, Prosper ! disait en même temps une voix sonore...