Extrait
I
Sous les doigts de Phyllis, les phrases lentes d’un nocturne se développaient dans le silence de la grande pièce aux boiseries grises où s’introduisait le crépuscule. Celui-ci voilait de son ombre légère les meubles vieillots, laqués, jadis blancs et devenus d’une indécise nuance grisâtre, la soierie des sièges, grise aussi, à rayures de soie verte un peu fanée, le petit lustre de cristal, la grande cheminée avec sa pendule et ses candélabres dont les bronzes étaient d’un si joli travail et si délicatement patinés par le temps. La blancheur d’un biscuit de Sèvres, sur la petite console placée entre les deux fenêtres, s’enlevait encore sur la teinte de cendre qui commençait de couvrir toute la pièce. Parfois, dans l’âtre, un peu de flamme jaillissait des tisons à demi consumés, éclairant fugitivement deux visages pensifs : celui de Mme Chardolles, large et paisible, au teint resté frais en dépit des soixante-dix ans sonnés ; celui du colonel Pardeuil, maigre, parsemé de rides, animé par la vivacité du regard encore jeune dans cette physionomie de vieillard.
Les bruits de Paris arrivaient indistincts jusqu’à ce salon tranquille, donnant sur un jardin silencieux. La rue était garnie de vieux hôtels semblables à celui-ci, qui appartenait à Phyllis de Malègue et dont elle n’occupait que le deuxième étage avec sa grand-tante, le reste étant loué pour augmenter des revenus un peu amoindris. Tout, dans ce logis, était calme, ancien, tout avait le charme du souvenir, la grâce discrète d’autrefois. Dans ce cadre où vivaient deux femmes qui en complétaient l’harmonie, le colonel Pardeuil venait volontiers chercher un reflet de son passé, en oubliant pour un moment le froid décor de l’appartement de son fils.
Les deux vieillards écoutaient le piano de Phyllis, lui accoudé à une petite table, elle travaillant à un ouvrage de crochet. À mi-voix, de temps à autre, ils échangeaient quelques mots.
– Comme elle sait rendre le charme mélancolique de ce nocturne ! Elle a un talent très réel, votre Phyllis, ma chère amie.
– En effet, elle est très musicienne et elle met surtout infiniment d’âme dans son jeu. Ce morceau est un de ses préférés. Elle le joue souvent et, assure-t-elle, toujours avec un nouveau plaisir...
I
Sous les doigts de Phyllis, les phrases lentes d’un nocturne se développaient dans le silence de la grande pièce aux boiseries grises où s’introduisait le crépuscule. Celui-ci voilait de son ombre légère les meubles vieillots, laqués, jadis blancs et devenus d’une indécise nuance grisâtre, la soierie des sièges, grise aussi, à rayures de soie verte un peu fanée, le petit lustre de cristal, la grande cheminée avec sa pendule et ses candélabres dont les bronzes étaient d’un si joli travail et si délicatement patinés par le temps. La blancheur d’un biscuit de Sèvres, sur la petite console placée entre les deux fenêtres, s’enlevait encore sur la teinte de cendre qui commençait de couvrir toute la pièce. Parfois, dans l’âtre, un peu de flamme jaillissait des tisons à demi consumés, éclairant fugitivement deux visages pensifs : celui de Mme Chardolles, large et paisible, au teint resté frais en dépit des soixante-dix ans sonnés ; celui du colonel Pardeuil, maigre, parsemé de rides, animé par la vivacité du regard encore jeune dans cette physionomie de vieillard.
Les bruits de Paris arrivaient indistincts jusqu’à ce salon tranquille, donnant sur un jardin silencieux. La rue était garnie de vieux hôtels semblables à celui-ci, qui appartenait à Phyllis de Malègue et dont elle n’occupait que le deuxième étage avec sa grand-tante, le reste étant loué pour augmenter des revenus un peu amoindris. Tout, dans ce logis, était calme, ancien, tout avait le charme du souvenir, la grâce discrète d’autrefois. Dans ce cadre où vivaient deux femmes qui en complétaient l’harmonie, le colonel Pardeuil venait volontiers chercher un reflet de son passé, en oubliant pour un moment le froid décor de l’appartement de son fils.
Les deux vieillards écoutaient le piano de Phyllis, lui accoudé à une petite table, elle travaillant à un ouvrage de crochet. À mi-voix, de temps à autre, ils échangeaient quelques mots.
– Comme elle sait rendre le charme mélancolique de ce nocturne ! Elle a un talent très réel, votre Phyllis, ma chère amie.
– En effet, elle est très musicienne et elle met surtout infiniment d’âme dans son jeu. Ce morceau est un de ses préférés. Elle le joue souvent et, assure-t-elle, toujours avec un nouveau plaisir...