Analyse du goût du vintage dans le cinéma sinophone.
Analyse du goût du vintage dans le cinéma sinophone. L'auteur fait la synthèse des grands travaux qui ont étudié ce mouvement, plus complexe qu'une simple nostalgie, et s'attache à cerner, en s'appuyant sur des analyses détaillées de films de Hou Hsiao-Hsien, Edward Yang ou Tsai Ming-Liang, ce que les Taïwanais, Hongkongais ou Chinois tentent d'exprimer.
Découvrez une réflexion qui s'attache à cerner, en s'appuyant sur des analyses détaillées de films, ce que les Taïwanais, Hongkongais et Chinois tentent d'exprimer à travers le côté rétro de leur cinéma.
EXTRAIT
Pour en revenir à la séquence écho de Rice Bomber* : pendant trois semaines, le quartier normalement solennel et très calme de Chung-cheng (siège de nombreux bureaux gouvernementaux) est devenu un carrefour de rencontres intellectuelles et politiques, un lieu de création de spectacles et de projection de films, de cours universitaires dispensées aux coins des rues et le théâtre de prises de paroles de la part d'activistes en tout genre. Le contraste avec les images vues dans la salle de cinéma ne pouvait être plus fort : Yang Ju-men décide de placer un explosif précisément dans la rue Qingdao (par où les étudiants sont passés pour occuper le Parlement) ; dans le film il fait nuit ; une figure encapuchonnée défie les caméras de surveillance en glissant une bombe dans un bac à ordures. L'explosion est spectaculaire. Mais le champ-contrechamp qui se crée entre film et réalité ne l'est pas moins. Aucune bombe dans la manifestation des Tournesols vs une déflagration au cinéma ; une foule, des couleurs et des slogans dans la réalité vs le silence de la scène de nuit à l'écran ; visuellement du plein vs du vide. Mais voici comment Rice Bomber*, en réactivant l'histoire récente, souligne la non-neutralité du vintage tout étant un film affecté par une certaine retromania : les images sont filmées par le Coréen Cho Yong-kyo qui magnifie la beauté des champs et des corps sculpturaux des acteurs ; la musique est signée par le compositeur iranien Peyman Yazdanian que Cho Li a découvert en regardant le film de Lou Ye sur Tiananmen (on va y revenir) ; la jeune fille est dotée de tous les gadgets de la « révolutionnaire chic » (symboles de paix aux murs de sa chambre, uniformes militaires, chemises indiennes, colliers en plastique)... Le film est relié à cet imaginaire transnational vintage qui revient sans cesse sur les dix à vingt dernières années à la recherche d'une identité (perçue comme) perdue ; les collaborateurs internationaux insufflent des tonalités musicales entendues ailleurs, utilisent une palette de couleurs familières, en somme ils contribuent au caractère cosmopolite, connecté et standardisé du film. En développant un imaginaire qui tisse des liens nostalgiques de continuité avec un présent über-compliqué, on fait apparaître également les raisons des impasses d'aujourd'hui.
À PROPOS DES AUTEURS
Corrado Neri est docteur en cinématographies asiatiques et maître de conférences à l'université Lyon 3. Ses recherches s'articulent autour du cinéma japonais, chinois et taïwanais et portent tout particulièrement sur la dimension politique de l'interculturalité.
Stéphane Corcuff (né à Brest en 1971) obtient en 2000 son doctorat à l'Institut d'études politiques de Paris. Enseignant-chercheur spécialiste du monde chinois, il étudie particulièrement Taiwan - où il a vécu de longues périodes - sous l'angle des dynamiques identitaires de ses marges, de son histoire géopolitique et de sa recomposition politique. Directeur de l'Antenne de Taipei du CEFC 2013 à 2017, il est membre du comité éditorial de "Perspectives chinoises".
Analyse du goût du vintage dans le cinéma sinophone. L'auteur fait la synthèse des grands travaux qui ont étudié ce mouvement, plus complexe qu'une simple nostalgie, et s'attache à cerner, en s'appuyant sur des analyses détaillées de films de Hou Hsiao-Hsien, Edward Yang ou Tsai Ming-Liang, ce que les Taïwanais, Hongkongais ou Chinois tentent d'exprimer.
Découvrez une réflexion qui s'attache à cerner, en s'appuyant sur des analyses détaillées de films, ce que les Taïwanais, Hongkongais et Chinois tentent d'exprimer à travers le côté rétro de leur cinéma.
EXTRAIT
Pour en revenir à la séquence écho de Rice Bomber* : pendant trois semaines, le quartier normalement solennel et très calme de Chung-cheng (siège de nombreux bureaux gouvernementaux) est devenu un carrefour de rencontres intellectuelles et politiques, un lieu de création de spectacles et de projection de films, de cours universitaires dispensées aux coins des rues et le théâtre de prises de paroles de la part d'activistes en tout genre. Le contraste avec les images vues dans la salle de cinéma ne pouvait être plus fort : Yang Ju-men décide de placer un explosif précisément dans la rue Qingdao (par où les étudiants sont passés pour occuper le Parlement) ; dans le film il fait nuit ; une figure encapuchonnée défie les caméras de surveillance en glissant une bombe dans un bac à ordures. L'explosion est spectaculaire. Mais le champ-contrechamp qui se crée entre film et réalité ne l'est pas moins. Aucune bombe dans la manifestation des Tournesols vs une déflagration au cinéma ; une foule, des couleurs et des slogans dans la réalité vs le silence de la scène de nuit à l'écran ; visuellement du plein vs du vide. Mais voici comment Rice Bomber*, en réactivant l'histoire récente, souligne la non-neutralité du vintage tout étant un film affecté par une certaine retromania : les images sont filmées par le Coréen Cho Yong-kyo qui magnifie la beauté des champs et des corps sculpturaux des acteurs ; la musique est signée par le compositeur iranien Peyman Yazdanian que Cho Li a découvert en regardant le film de Lou Ye sur Tiananmen (on va y revenir) ; la jeune fille est dotée de tous les gadgets de la « révolutionnaire chic » (symboles de paix aux murs de sa chambre, uniformes militaires, chemises indiennes, colliers en plastique)... Le film est relié à cet imaginaire transnational vintage qui revient sans cesse sur les dix à vingt dernières années à la recherche d'une identité (perçue comme) perdue ; les collaborateurs internationaux insufflent des tonalités musicales entendues ailleurs, utilisent une palette de couleurs familières, en somme ils contribuent au caractère cosmopolite, connecté et standardisé du film. En développant un imaginaire qui tisse des liens nostalgiques de continuité avec un présent über-compliqué, on fait apparaître également les raisons des impasses d'aujourd'hui.
À PROPOS DES AUTEURS
Corrado Neri est docteur en cinématographies asiatiques et maître de conférences à l'université Lyon 3. Ses recherches s'articulent autour du cinéma japonais, chinois et taïwanais et portent tout particulièrement sur la dimension politique de l'interculturalité.
Stéphane Corcuff (né à Brest en 1971) obtient en 2000 son doctorat à l'Institut d'études politiques de Paris. Enseignant-chercheur spécialiste du monde chinois, il étudie particulièrement Taiwan - où il a vécu de longues périodes - sous l'angle des dynamiques identitaires de ses marges, de son histoire géopolitique et de sa recomposition politique. Directeur de l'Antenne de Taipei du CEFC 2013 à 2017, il est membre du comité éditorial de "Perspectives chinoises".
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