Dès le premier jour où je me suis installé dans le bureau jouxtant celui du Président de la République, j'ai pensé que mon devoir serait, un jour ou l'autre, de rendre compte aussi intégralement que possible, de témoigner, d'expliquer. C'est ce que je fais ici, dans la limite de ce que l'intérêt de la République permet de dévoiler à si brève échéance. Depuis ces journées éblouies de mai 1981, j'ai consigné quotidiennement, aussi honnêtement mais aussi crûment que possible, les faits, les impressions, les dialogues. On les retrouvera tels quels. J'ai aussi utilisé ici mille et une notes _ manuscrites pour la plupart _ rédigées à l'intention du seul Président, en particulier les très nombreux verbatim rendant compte des tête-à-tête entre chefs d'Etat. Enfin, j'ai puisé dans ma mémoire qui, comme toute faculté humaine, est imparfaite. Dans la plupart des cas, nul n'est à même de corrobrer mon témoignage: j'ai été seul à entendre la plupart des propos que je rapporte ici, et ma parole vaudra donc seule contre tous les démentis. Cette lecture permettra, je l'espère, de comprendre l'extrême complexité et la diversité étourdissante de l'exercice de ce pouvoir si particulier, celui d'un homme isolé de tout, pour qui rencontres, réunions, voyages sont de rares moments d'échanges volés à un protocole de confinement. Un homme dont l'essentiel de l'influence se résume à l'annotation quotidienne de dizaines de parapheurs de notes, lettres, requêtes, décrets, lois, grâces, avis, études, rapports de police, suggestions, demandes de décisions émanant de tous les horizons, filtrés _ ou non _ par ses conseillers. Ce journal se voulait exhaustif; il ne peut l'être, évidemment. Il se voulait aussi objectif; il ne peut l'être non plus. A certains, ce verbatim paraîtra trop louangeur. D'autres le trouveront injustement critique. Pour me tenir à égale distance de ces deux écueils, j'ai tenté de n'être là que l'observateur d'épisodes singuliers de la comédie humaine. On y trouvera le récit de réussites et d'erreurs, de mesquineries et de grandeurs. Naturellement, ce texte est marqué par l'étrange rôle que j'y ai tenu: l'intellectuel dont le Prince se méfie assez pour le tenir en lisière, mais en qui il assez confiance pour en faire le témoin de toutes les rencontres, le filtre de tous les documents, pour lui confier maintes missions et l'accepter comme son confident quotidien. Celui dont on garde l'avis pour soi sans jamais le mêler à l'action collective. Je dis cela sans aucune amertume; je l'ai voulu ainsi. Les épreuves de ce livre, une fois achevées, n'eurent que deux lecteurs: Claude Durand, mon éditeur, comme pour chacun de mes livres; et le Président de la République, qui eut le droit de rayer ce qu'il voulait. Droit qu'il n'a pas exercé, sans que cela ait constitué pour moi une surprise. Seul, il connaît la totalité des facettes de son action. J.A.
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