Éric Masserey nous invite à un long périple dans son roman, Le Retour aux Indes. Plus précisément: Le Retour aux Indes, que fit Vasco Iseu de Castelo Branco entre 1568 et 1572, depuis Chios en mer Égée jusqu'à Salamanque, par bateaux, caravanes muletières, et à pied. Le titre est magnifique mais un peu long. On comprend que l'éditeur, Bernard Campiche, l'ait placé en quatrième de couverture et ait choisi de n'en garder que le début. C'est en faisant des recherches sur Amatus Lusitanus, grand médecin du XVIe siècle, qu'Éric Masserey, médecin lui-même, est tombé sur une lettre intrigante, explique-t-il. La missive, "écrite en judéo-espagnol mêlé de grec, sans ponctuation", est d'une fille à son père. Elle lui annonce la naissance de son petit-fils et évoque un livre qui parle des Simples et des Drogues de l'Inde. La lettre est signée Otilia Charis de Mesta, et s'adresse à Vasco Iseu de Castelo Branco. Intrigué par ces noms, Éric Masserey a décidé de retrouver la trace de leurs possesseurs, de comprendre les liens qui les unissait à Amatus Lusitanus, de voir les lieux où ils vivaient. Pour définir son sujet, il s'est plongé dans les investigations et les voyages. Celui qui sert de cadre au roman commence à Salonique et se termine à Salamanque. La peste a tué Amatus Lusitanus dans la première ville. Vasco, de retour de Chios, retrouve vide la maison de son ami, secrétaire et compagnon, juif comme lui. Ils se connaissent depuis l'enfance. Leurs familles ont été chassées d'Espagne et forces d'embrasser le christianisme au Portugal. Lors de l'inventaire des biens du médecin, on découvre qu'une grande perle noire issue des mers du sud a disparu. Vasco est accusé. Plutôt que se défendre, il s'en va. À Chios d'abord, où il fera commerce de mastichio, résine de lentisque utilisée dans les médicaments, et où sa fille se marie et se fixe. Lui repart. Son projet est de gagner Goa, mais il décide finalement de retourner vers le lieu de son enfance, Castelo Branco, en passant notamment par Raguse, Ancône, Ferrare, Gênes, Marseille, Beaucaire, Narbonne, Valence, Tolède... Ce voyage est aussi un retour dans le temps, qui l'amène à se remémorer sa vie passée, à la faveur des souvenirs et des rencontres qu'il a faites dans le sillage d'Amatus. Ce sont des personnages souvent célèbres qu'on croise. Le roman est en effet extrêmement bien documenté, posé sur un socle de recherches que Masserey a la sagesse de faire à peine affleurer. Il évoque des médecins, comme Gianbattista Canano, Garcia da Orta, André Vésale, Didacus Pyrrhus, également poète, ainsi que Louise Labé, Camoës, Pétrarque ou Le Tasse... Écrit dans une belle langue classique, ample et mesurée, avec parfois des accents flaubertiens (le Flaubert de Salammbô), ce roman condense un monde. Celui de la Renaissance. Un monde dont on perçoit les avancées, scientifiques et poétiques, l'envie passionnée de découvertes, mais aussi les noirceurs, les craintes, les intolérances. Un monde qu'Éric Masserey décrit avec une pointe de pessimisme, montrant que les puissances de l'obscurantisme contrarient de toutes leurs forces les changements. On le voit à la fin. Son héros n'atteindra jamais Castelo Branco. Il meurt gelé et misérable aux portes de Salamanque, cette ville qu'il connaît si bien, dont on lui refuse l'entrée, pendant que le Fray Luis de León, à qui il s'est adressé, un collègue d'Amatus poète, théologie et humaniste, est jeté en prison par l'inquisition. Et finalement, le cadavre de Vasco, ironie de l'histoire, est disséqué au théâtre anatomique pour illustrer la querelle sur la circulation du sang, qui opposait Vésale et... Amatus. Blog d'ALAIN BAGNOU
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